Demain, c’est nous !

Afrik.com a rencontré Keita Stephenson au Rotin’s Home, salon de thé et restaurant guyanais, situé dans le 1er arrondissement de Paris. Le jeune écrivain sort son premier livre, un essai qui aborde l’actualité et l’avenir de la Guyane, l’espérance de la génération née après les années 80, les perspectives étroites et pourtant remarquables des outremers français, et les enjeux portés par la crise qui touche la France et l’Europe.
AFRIK : Le titre de votre essai est une phrase exclamative. Demain, c’est nous ! est-ce une acclamation ? une affirmation ou une invitation ?

Keita Stephenson : Le titre du livre m’est venu en discutant avec de jeunes bacheliers et des apprentis. Ils s’inquiétaient de ce que la société ne leur propose aucun avenir, que le discours politique ambiant, en Guyane comme en Métropole, ne présentait l’avenir qu’en termes comptables. L’absence de rêves, l’absence de perspectives. C’est alors que je me suis dit que l’avenir c’est nous qui le faisons. Chacun d’entre nous, individuellement et collectivement à la fois. Demain, c’est nous, est à la fois une simple évidence qu’il nous faut rappeler, et une invitation aux nouvelles générations à se prendre en main.

AFRIK : Votre essai est un exposé critique de la réalité sociopolitique et de la situation absurde d’une région française enclavée au milieu de l’Amazonie. Quel est ce qui vous a motivé à écrire ce livre aujourd’hui ?

K.S. : La situation de la Guyane est juste une étrangeté des temps modernes. Depuis que je suis enfant, je me demande comment il se fait que, juste à une quarantaine de kilomètres de chez moi, on lance des fusées donnant accès à la télévision, la téléphonie, ou la communication, à des millions d’êtres humains dans le monde, tandis que mon propre foyer n’a accès qu’à quelques chaines de télévision, fonctionnant une fois sur deux, interrompue à cause d’une averse, et que la couverture locale en téléphone mobile ou internet est équivalente à un pays dit sous-développé. Quelque chose sonne faux. Et puis, ces dernières années, j’ai compris que le modèle de rattrapage dans lequel on avait enfermé la Guyane comme les outremers, était juste une chimère. La crise que traverse l’Europe dont la Guyane est atrocement dépendante, l’émergence comme puissance mondiale du Brésil, voisin de la Guyane avec lequel nous n’avons quasiment aucun contact, m’ont poussé à dire ce que ma génération espère, ce à quoi elle rêve, et ce dont elle est capable.

AFRIK : Vous avez à peine trente ans. Ce n’est pas trop jeune pour poser un regard et proposer tout un projet à un pays ?

K.S. : Guyane, je suis déjà vieux. La majorité de la population a moins de vingt ans, et la Guyane restera un pays jeune au moins jusqu’en 2040. Pour tout vous dire, je pense même que nous n’avons que trop tardé- la génération des trentenaires, à nous rassembler pour prendre en main le destin de notre pays. Ceux qui nous dirigent ne sont pas seulement vieux, ils ont surtout l’âge dépassé de leurs préjugés. Je ne vois pas pourquoi dans ce contexte, on ferait l’économie des expressions et des idées de la génération issue de l’intifada guyanaise.

AFRIK : Vous posez le postulat selon lequel la Guyane a tous les potentiels pour se développer, mais qu’elle est en quelque sorte empêchée. Avec la crise que traverse justement la France et l’Union européenne, comment mettre en œuvre l’investissement que vous appelez de vos vœux ?

K.S. : Mes études universitaires étaient consacrées au droit international et au développement économique. J’ai eu l’occasion de vivre et travailler en Islande, un pays qui a quasiment la même superficie et la même population que la Guyane. J’y ai découvert que le développement y était possible. J’y ai aussi découvert et exploré les travers qui ont conduit à la faillite bancaire d’un pays développé, et qui s’en sort aujourd’hui grâce à des choix hétérodoxes. Tout ceci m’a convaincu qu’il n’y avait pas de fatalité pour la Guyane, et que le projet de développement n’était pas une simple question administrative ou comptable, mais avant tout sociale et culturelle. La Guyane n’a pas besoin d’un cadre institutionnel ou d’un projet économique, mais elle a d’abord besoin d’un projet de société qui détermine le cadre adapté et les moyens de son essor économique. C’est en tout cas, la thèse que je défends, et qui est propre à la Guyane.



La suite sur : http://www.afrik.com