Au large de Belém: le surprenante découverte du récif de l’Amazone

Dans le bassin de l’embouchure de l’Amazone, non loin des eaux territoriales de Guyane française, un récif coralligène n’attendait que d’être découvert. Ce n’est qu’en janvier 2017, pour que l’ONG Greenpeace et certains scientifiques brésiliens prennent les premières photographies de ce récif, confirmant la présence de ce biome complexe et étonnant. Caché sous des eaux troubles, son fonctionnement n’est pas encore compris par les rares scientifiques à s’y être intéressés.

Au nord du Brésil, dans les eaux sombres de l’océan Atlantique, à l’embouchure du fleuve Amazone, se trouve un récif sous-marin. Sa découverte fut plus que surprenante puisque ce site ne montre pas les caractéristiques habituellement nécessaires au développement d’un récif corallien.
Nous imaginons tous les récifs coralliens comme des écosystèmes marins aux mille couleurs, situés dans des eaux transparentes, à faible profondeur, comme nous pouvons en admirer en Polynésie française, en Guadeloupe ou en Martinique. Pourrions-nous imaginer un lieu semblable à quelques brasses de la Guyane ? Eh bien non, il s’agit d’un récif qui s’est développé dans des eaux troubles, en profondeur. Greenpeace, le « réseau international d’organisations indépendantes » qui agit pour protéger l’environnement, s’est penché sur ce récif, à peine découvert, mais déjà potentiellement menacé par des forages pétroliers.

Un récif d’un tout nouveau genre

En 1977 un article scientifique de B. Collette et K. Ruetzler, deux biologistes du Muséum national d’Histoire naturelle de Washington, le Smithsonian Institute, indique déjà la présence de poissons associés habituellement aux récifs coralliens dans l’embouchure de l’Amazone. Il faut attendre la publication d’un article par des scientifiques de l’Université fédérale de Rio de Janeiro dans la revue Science Advances pour confirmer son existence en avril 2016 ! Un peu moins d’un an plus tard, en janvier 2017, des membres de Greenpeace embarquent avec certains de ses scientifiques à bord de l’Esperanza, un navire appartenant à l’association. À 250 km des côtes brésiliennes, malgré une mauvaise visibilité, les premières photographies sont prises. Des éponges colorées, quelques coraux, des rhodolites (concrétions calcaires construites par des algues rouges calcifiantes), divers poissons…
Frédéric Ducarme, chercheur attaché au Muséum national d’Histoire naturelle, explique : « Ce récif est très différent des récifs tropicaux habituels : on n’y trouve que peu de coraux scléractiniaires (les coraux récifaux tropicaux, ndlr), mais la structure est essentiellement constituée par des algues rouges (les rhodolites), qui bâtissent des structures parfois comparables, mais peuvent survivre dans des conditions plus difficiles (notamment plus profond, avec moins d’oxygène et de lumière). » Un récif corallien est une structure sous-marine très complexe constituée par les squelettes de certains cnidaires (un groupe d’espèces animales regroupant aussi les anémones de mer et les méduses) coloniaux qui sont appelés les coraux scléractiniaires pour les récifs tropicaux littoraux. Le biologiste ajoute : « Les récifs de corail scleractiniaires doivent leur succès aux algues symbiotiques (zooxanthelles) qu’ils élèvent dans leurs tissus et auxquelles ils fournissent certaines conditions de culture assez strictes. En conséquence, ils ont besoin d’eaux très claires, chaudes (supérieures à 20 °C toute l’année, si possible entre 26 et 30 °C), à caractéristiques chimiques stables (notamment en termes d’acidité et de salinité), et d’un courant régulier. » Ainsi, en raison de leur impact sur la salinité, le pH (mesure de l’acidité d’un milieu), la pénétration de la lumière, la sédimentation et les nutriments, les embouchures des grandes rivières tropicales ont toujours été considérées comme défavorables pour la formation des récifs coralliens. Le fleuve Amazone représente 20 % du débit fluvial global vers l’océan. En conséquence, une vaste zone de l’Atlantique Nord tropical est affectée en termes de salinité, d’acidité, de pénétration de la lumière et de sédimentation.

Un mégabiome ?

Très peu d’études ont été faites sur ce récif. Greenpeace espère pouvoir lancer une nouvelle expédition courant 2018. « On connaît très mal son fonctionnement. Il faudrait plus de données primaires, collectées sur place et évaluer sa taille plus précisément. On l’estime à 9 500 km², mais ce serait probablement bien plus, indique Edina Ifticene, chargée des campagnes « Océan » à Greenpeace France, Quelle est la richesse de la faune ? Est-on en présence d’un mégabiome ? » De nombreuses questions restent aujourd’hui sans réponse
« Ce récif s’est probablement développé très lentement (les prélèvements attestent un âge très avancé et un développement long, ndlr), bénéficiant des périodes de l’année où l’afflux de boue du fleuve est moins intense, permettant une photosynthèse efficace, et donc la création d’oxygène pour tous les animaux venus bénéficier de l’apport nutritif du fleuve », résume, à partir de l’étude scientifique, Frédéric Ducarme, intéressé par le sujet même s’il est plus familier des récifs traditionnels. « Des structures récifales de plus en plus complexes et de mieux en mieux adaptées à cet environnement ont dû progressivement voir le jour, offrant un habitat ou une source de nourriture à un cortège d’animaux toujours plus important et varié, débouchant à terme sur cet écosystème riche et original », propose-t-il.
Pour Thiago Almeida et Helena Spiritus, de Greenpeace Brésil, c’est une des plus grandes découvertes de biologie marine de ces dernières années. « Il pourrait être un des plus grands récifs au monde. C’est une découverte majeure pour comprendre l’océan, notre planète et elle ne concerne pas qu’un seul pays, mais le monde entier », s’enthousiasme la biologiste Helena Spiritus. En revanche, elle et son collègue sont inquiets. En effet, BP et Total, deux compagnies pétrolières envisagent de procéder à des forages pétroliers d’exploration offshore dans la région. Un des puits se situe à 28 km du récif.

L’ombre de l’or noir

Des blocs exploratoires pour le forage pétrolier dans le plateau de l’Amazone ont été offerts dans une vente aux enchères internationale en 2013. Les compagnies pétrolières BP et Total font partie de ces acquéreurs. Elles ont proposé un projet d’exploration et effectué une étude environnementale sur les impacts potentiels du projet. Or, fin août 2017, l’Agence environnementale brésilienne (Ibama) indique que Total n’a pas fourni d’informations assez convaincantes sur les risques environnementaux liés au projet, ce qui rend actuellement impossible l’attribution des licences environnementales qui devaient permettre de forer près du récif de l’Amazone. Caroline Papazian, chargée des relations presse pour Total, précise : « La licence environnementale n’a pas été “refusée” (comme on l’entend souvent) par Ibama, qui a demandé des compléments d’information sur l’exploration des blocs du bassin de Foz do Amazonas. Ces demandes techniques sont actuellement à l’étude afin de fournir à Ibama les réponses appropriées. Notre programme d’exploration inclut le forage de deux puits d’exploration, le premier situé à 28 km et le second à 38 km du récif le plus proche. La compagnie Total est bien consciente de la présence d’un récif proche de l’embouchure de l’Amazone et comprend parfaitement la nécessité de le préserver. » La compagnie pétrolière française n’aurait pas apporté de réponses satisfaisantes sur les impacts environnementaux liés aux forages, en particulier sur les questions concernant une éventuelle marée noire. Cet accident pourrait endommager non seulement le récif, mais aussi les côtes et la mangrove (zone littorale humide composée principalement de palétuviers) située à l’embouchure de l’Amazone qui est, elle aussi, un écosystème riche en biodiversité. Sa destruction représenterait une menace pour la pêche dont dépendent certaines populations autochtones. Les puits de forage étant situés à la frontière avec les eaux territoriales de Guyane française, les risques concerneraient aussi la Guyane, surtout en prenant en compte le courant marin des Guyanes. Aucune collaboration n’a aujourd’hui été annoncée. Il est intéressant de rappeler que Total souhaite aussi procéder à des forages d’exploration en Guyane française en 2018.

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Afin d’attendre les conclusions de la procédure de licence environnementale de ces blocs, le Conseil national de politique énergétique (CNPE) brésilien a décidé de ne pas inclure des blocs de cette zone dans la liste des enchères de 2018.
Afin d’alerter la population, Greenpeace a organisé plusieurs actions aux sièges de Total en Belgique, en France ainsi qu’à Rio, une pétition signée par 1,3 million de personnes et des mobilisations publiques dans les stations-service. « Pour nous ce projet est absurde dans un environnement aussi fragile et méconnu et surtout après la COP21… », dit Edina Ifticene. « On ne peut pas laisser le risque que ce récif soit détruit par les compagnies pétrolières », ajoute son collègue brésilien Thiago Almeida. Une inquiétude renforcée par le souvenir encore trop récent de la marée noire de 2 010 dans le golfe du Mexique lors de forages en eaux ultra-profondes, le même type de forage que celui qui est envisagé dans le bassin de l’embouchure de l’Amazone. Greenpeace détaille les différents risques que présentent ces forages dans un rapport disponible sur leur site.petrole_carte

Un objet d’étude pertinent sous le prisme du changement climatique

L’article paru dans Science Advances en 2 016 conclut : « Le nouveau système récifal au large de l’Amazone peut fournir des perspectives importantes en termes de scénarios futurs pour la prévision des trajectoires des récifs coralliens sous des changements climatiques aigus. » Il est ajouté prudemment, au sujet des blocs d’exploration pétrolière : « La faisabilité des opérations pétrolières et gazières peut être évaluée en tenant compte des sensibilités environnementales et sociales, mais même l’étendue du chevauchement des blocs exploratoires avec les zones sensibles reste incertaine. Le contexte de grande proximité des eaux internationales et de la frontière française ajoute de la complexité. Il est pertinent d’envisager d’autres études sur la planification régionale de l’espace marin, le fonctionnement des récifs face aux changements climatiques et les sensibilités liées au cycle hydrologique de l’Amazonie. »
Le récif de l’embouchure de l’Amazone est donc encore très méconnu. Il n’entre pas réellement dans la définition du récif corallien, ce qui en fait un OVNI dans les stratégies environnementales. « L’Ifrecor s’intéresse essentiellement aux récifs coralliens en zone tropicale. Or, le récif de l’embouchure de l’Amazone ne correspond pas exactement aux caractéristiques que nous étudions. C’est plutôt un reliquat, il est très profond aussi. Il n’est pas associé à la vie d’un écosystème ou à la vie économique du territoire en l’état actuel des recherches. Mais la question reste ouverte, bien entendu », indique Pascal Colin du ministère des Outremers, en poste au secrétariat de l’Ifrecor. L’Ifrecor, l’initiative française pour la protection des récifs coralliens, est constituée d’un comité national et d’un réseau de huit comités locaux, situés dans les Outremers, représentant les collectivités françaises abritant des récifs coralliens. La Guyane n’en fait actuellement pas partie même si la présence de mangroves sur son territoire suscite certains débats ainsi que la découverte de ce récif. Un sujet en suspens.
De multiples questions aujourd’hui sans réponse laissent espérer de nombreuses recherches dans le bassin de l’embouchure de l’Amazone. « Ce que les chercheurs peuvent espérer de ce récif, c’est d’abord de comprendre sa grande originalité, explique en souriant Frédéric Ducarme. Beaucoup d’espèces y sont sans doute uniques, tout comme certaines de leurs fonctions écologiques. Le milieu environnant – pauvre en oxygène, turbide, à la chimie chaotique – ressemble hélas par bien des aspects à ce qui attend de nombreuses régions marines du monde, et peut éventuellement nous faire un tableau de l’évolution future de certaines régions. À l’inverse, il peut aussi nous éclairer sur le passé, et nous aider à comprendre comment certaines espèces récifales ont pu survivre aux grandes variations de niveau des mers qui ont eu lieu dans l’histoire de la vie. Enfin, il recèle peut-être de certaines espèces ou de substances “utiles ”, que ce soit au domaine médical ou pour l’évolution des écosystèmes, comme des espèces récifales capables de survivre en conditions extrêmes ou de dépolluer l’eau. D’une manière générale, en tant que chercheurs on espère en fait surtout l’inattendu  ! »

Texte de Sylvie Nadin
Photos de Marizilda Cruppe, Daniel Beltrá, Greenpeace .

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